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 La grosse critique

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Le consentement
                        Vanessa Springora
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                                                     « Le crépuscule des idoles littéraires »

 

A 18 ans j’ai lu un livre de Matzneff, « la prunelle de mes yeux » il parlait avec une authentique délectation érotique de sa relation avec une jeune fille mineure. Quand je l’ai lu j’ai été dérangé, émoustillé et un peu choqué. J’étais tout juste majeur. Et je trouvais qu’on ne prêtait qu’aux riches dans notre société classiste. Matzneff en faisait un art de vivre : Des filles qui avaient presque mon âge tombaient donc dans les griffes d’un vieil écrivain germano-pratin que j’imaginais riche et influent, érotomane et cultivé et pour tout dire cabot et méprisable. Sa vie ressemblait à ses romans. Il disait dans ses Journaux ses amours scabreux. En enjolivant. Car les écrivains sont menteurs naturellement. J’étais un lecteur curieux. Je lisais tout. Sans jugement politique ou moral : Drieu La Rochelle et jean Genet, Céline et Brasillach. Quand on aime lire de façon boulimique et extatique on ne mégote pas face à la canaille sanctifiée par Gallimard ou Grasset. Enfant de la petite classe moyenne je me frottais au Panthéon des Lettres. Et je me fiais au jugement des éditeurs et de l’histoire littéraire. Et en ce temps là Matzneff comptait dans le monde des lettres, était invité par Pivot et soutenu par Sollers. Les principaux responsables de la fascination exercée par Matzneff alors c’étaient eux, ces hommes influents ayant le pouvoir de désigner au lecteur ce qui était littérature de ce qui ne l’était pas.

 

Quand j’ai lu Matzneff je n’ai pas pensé au jugement de la Loi qui interdisait les relations sexuelles avec les mineurs. J’étais jeune moi aussi. Et j’étais fasciné par les écrivains, ces demi-dieux des lettres qui planaient dans un olympe parisien qui m’était inaccessible. Au fond je m’identifiais à cette jeune femme qui avait les yeux de chimène pour ce barbon lettré, qui gouttait ses mots en même temps que son sexe turgescent. Moi aussi j’aurais sans doute aimé être aimé par un tel prince des Lettres. Mais je n’aurais pas apprécié passer à la casserole.

 

A 46 ans j’ai lu « le consentement » de Vanessa Springora. D’une traite. Pendant un après-midi bruxellois pluvieux et mélancolique. Bien sûr la polémique avait éclaté entre temps. Énorme. Extravagante. Un peu effrayante sur les bords. L’écrivain mâle jadis puissant était donc voué aux gémonies pour ses agissements coupables, crucifié sur Tweeter, pourfendu sur Facebook. On en parlait à la télé. Même votre concierge avait un avis sur la question. Les soutiens du bouc lubrique des Lettres étaient sommés de faire repentance piteusement. Et l’éditrice était pendant ce temps là digne et droite, omniprésente dans les médias, avec son œil pétillant d’intelligence sur le Plateau de la Grande Librairie : La jeune Vanessa avait donc bien grandi depuis qu’on l’avait quittée. Elle était donc devenue à son tour une femme puissante à la parole enfin libre. Finie la petite chose victime. L’enfant délaissée par son père, l’adolescente révoltée élevée par une mère dépassée. Elle était désormais une de ces femmes de pouvoir tenant solidement les rênes d’une des premières maison d’édition de France. Elle aurait désormais ce pouvoir magique entre les mains : Designer ce qui est littérature et jeter ce qui ne l’est pas. Un démiurge éditocrate. Une nouvelle Francoise Verny en version sobre. Une femme en tout cas suffisamment courageuse pour trouver les  mots justes et qualifier l’emprise qu’elle avait subie adolescente. L’écrivain machiste adulé du mundillo parisien devenait dans son récit une créature manipulatrice et pathétique dans un livre aux mots finement choisis, aux douleurs digérées, au pathos sobre passé probablement par le tamis d’une psychanalyse réussie. Une petite fille manipulable était morte une écrivain née. Notre nouvelle idole. Nous qui cherchons phares et balises dans la nuit et nous agrippons aux dompteurs de mots pour dire et nommer une époque de tourments sociaux et de colère enragée que les politiques ont du mal à saisir.

 

Et la littérature dans tout ça ? Elle a rendu son verdict populaire : dans les librairies j’ai eu du mal à trouver « le consentement » tant l’écho médiatique a attiré le lecteur vers l’ouvrage. On ne trouve plus de Matzneff non plus qui est devenu si sulfureux qu’il est banni des librairies. Le lire ou l’avoir lu expose désormais le lecteur à la roue. Attention à la Vox Populi numérique ! Le Name and Shame bientôt pour vous. 

 

Le temps a pourtant rendu son verdict impitoyable. Les filles victimes sont devenues des femmes fortes. L’écrivain coupable un nouveau damné.

 

Une idole post-soixante-huitarde pédophile est morte. Une nouvelle idole féministe 2.0 est née.

 

Alors Justice ?

 

Pas vraiment. L’institution judiciaire n’a pas su se saisir des faits délictueux à l'époque. Ils étaient étalé presque à chaque page pourtant. Et c’est la Vox Populi qui tonne et s’indigne qui rend sa Justice à elle. Un peu débridée il faut bien le dire.

 

Passons à autre chose au plan littéraire svp. Je suivrai désormais avec attention les publications de Julliard. Parce qu’une grande éditrice peut naître d’une petite fille blessée. Et que vite advienne une authentique société égalitaire dans laquelle les idoles n’existent pas. Rêvons de relations sexuelles et amoureuses entre majeurs, librement consenties et harmonieuses, à jamais protégées de tous les monstres déviants, de tous les tartuffes et de tous les ayatollahs.

 

Ce serait ça la vraie justice.

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                                                                                            Boris Faure

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