Réflexion de lecture sur Alice
Je réfléchissais en bricolant à l'œuvre de Lewis Carroll, Alice au pays des Merveilles et De l'autre côté du miroir. Et je pensais à cette œuvre qui me semble présenter des points communs avec la psychanalyse.
Je crois que lorsqu'elle suit le Lapin Blanc pour plonger dans le pays des Merveilles, Alice suit sa fantasmagorie et son imagination. L'aventure se termine par son réveil au sortir d'un rêve. Alice suit cette création de son esprit et il me semble qu'elle la subit plus qu'elle ne la crée. Elle me parait toujours dominée par son fantasme et par ses rêveries. Elle y plonge en suivant le Lapin Blanc dans son terrier et manque de s'y perdre définitivement. Mais sa sœur la réveille et elle échappe à la sentence mortelle de la Reine de Cœur.
Quand elle passe de l'autre côté du miroir, c'est pour moi tout autre chose. Elle monte volontairement sur la cheminée pour regarder dans le miroir ce qu'elle croit avoir aperçu. Elle sait qu'un miroir présente une image inversée du réel et elle répète à plusieurs reprises qu'elle voudrait connaître "la maison du miroir". Alice mire son reflet et s'en rapproche au point de franchir le tain de la glace et de se retrouver à nouveau au pays des Merveilles. Elle traverse son image en passant DANS le miroir et c'est comme si elle pénétrait son intériorité et se retrouvait dans son inconscient. C'est celui-ci qu'elle explore en fin de compte. Et elle le fait volontairement.
Le premier roman est basé sur les personnages d'un jeu de cartes: aléatoire sera la main du joueur qui possèdera des cartes maîtresses en fonction de ce qu'on lui aura servi. Tributaire du hasard.
Le second roman est construit sur l'exploration d'un jeu d'échecs. Stratégie, calcul et réflexion sont mobilisés pour gagner et remporter la partie. Ici, rien n'est livré au hasard.
De la soumission à son inconscient, Alice évolue vers l’exploration décidée de celui-ci.
Dans les deux œuvres, le pays des Merveilles est le haut lieu de l’irrationnel. Une folie qui pourrait sembler douce, mais qui se révèle vite inquiétante et ambiguë.
Alice y absorbe des mets qui font fluctuer sa taille. Elle vagabonde dans des espaces qui ne présentent que des ruptures géographiques. On court le danger de se faire couper la tête ou bien on participe à une guerre. Des personnages se métamorphosent meurent ou disparaissent brutalement.
On risque gros au pays des merveilles et peut-être de perdre son identité et son intégrité psychologique.
Le Chat de Chester dans le premier livre, et dans une moindre mesure son pendant dans le second livre, Humpty Dumpty, sont deux personnages qui délivrent à Alice les messages les plus logiques et rationnels.
Plutôt sentencieux et railleur, Humpty Dumpty ne se révèle pas un adjuvant très efficace. Mais il révèle à Alice une réflexion sur le langage, son sens caché qu'on ne décrypte pas de façon claire et évidente, comme on pourrait le penser, à travers leur discussion sur le poème du Jabberwocky.
Le Chat de Chester est d'une autre mesure. Personnage fascinant de la littérature, il apparaît et disparaît au gré de sa volonté, ne laissant planer que l'ombre de son sourire. C'est un personnage qui "se gouverne" et n'obéit qu'à ses propres lois. En cela il possède et c'est le seul, une forme de logique, qui même si elle peut nous sembler relever de l'absurde, fonctionne et fait système, car il sait argumenter. Le Chat de Chester permet à Alice de comprendre le pays des Merveilles, c'est le seul personnage avec qui elle engage un dialogue constructif et qui jalonne par ses apparitions successives la narration du premier roman, un peu comme un cadre donné au récit.
Que ce soit par la réflexion sur la langue via Humpty Dumpty ou bien celle sur la logique via le Chat de Chester, je lis les deux ouvrages comme une introspection d'Alice par elle-même, une initiation à soi qui relève de l'analyse.
Dialogues, déplacements dans l'espace, actes volontaires ou manqués, erreurs, métamorphoses, changement de statut social (Alice devient reine de l'échiquier dans le 2nd livre), l'exploration de l'inconscient me semble achevée.
Les deux ouvrages se terminent de façon similaire par l'éveil après un rêve. Mais au sortir de ces rêves Alice s'interroge à voix haute sur la réalité de l'expérience qu’elle vient de vivre. Le doute, le nécessaire doute, qui participe de la guérison psychanalytique parce qu'il introduit la notion d'esprit critique, s'est emparé d'Alice et lui donne à remettre en question autant sa propre perception du réel, que le monde qui l'entoure. Qu'est-ce qui est réel finalement?
Alice revenue du pays des Merveilles ne se voit plus jamais du même œil et pose sur le monde un regard circonspect.
Et nous avec elle.
Anaïs.