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Interview de Christine

(Blog : Au pays des books

à Marco Carbocci

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Bonjour Marco, tu publies prochainement ton nouveau roman, « Les Cendres du Père ». Comment te sens-tu après le travail que tu as donné pour l'écriture de ce texte ?

Bonjour Christine. Eh bien, j’imagine que je devrais énumérer ici ma satisfaction, mon soulagement, voire mon impatience de voir se concrétiser mon projet dans l’édition, mais je crains d’être plutôt imperméable à ce genre de sentiments. Selon moi, le job de l’écrivain consiste à de se cramponner à sa table de travail et à écrire le mieux et le plus sincèrement possible. Tout le reste n’est plus – ou ne devrait plus être – de son ressort. J’énonce peut-être ce principe de manière un brin péremptoire, mais je ne prétends donner de leçon à personne. Il ne s’agit là que de mon rapport personnel au métier d’auteur. Chaque auteur aura le sien et c’est très bien comme ça.

Ma pratique d’écriture donc s’inscrit dans le temps long. J’ai donné énormément de temps et d’efforts aux « Cendres du père ». C’est de la concentration, de l’immersion, de longues nuits d’insomnie, de la solitude. Ainsi, je suis capable de demeurer des jours entiers sans prendre une heure de sommeil... et je reconnais que cela finit le plus souvent par me laisser sur les jantes. Il me faut être habité par l’écriture. Il faut surtout que la grammaire de la narration et du sens me hante au point que je ne me soucie à aucun moment de l’objet roman : l’objet publié, diffusé, apprécié ou non par la critique et les lecteurs. L’objet, en somme, qui vit sa vie propre et a cessé de m’appartenir.

Longtemps d’ailleurs, je n’ai pas conçu de lien nécessaire entre l’écriture et la publication. Je ne songeais qu’à l’acte d’écrire et n’avais pas envie de m’occuper du reste. Une question demeurait cependant : à quoi bon s’infliger ce travail si celui-ci ne conduit pas à un partage ? Je crois profondément que la lecture est la rencontre de deux subjectivités. Rencontre heureuse, ouvrant autant de perspectives pour le lecteur que pour l’auteur, ou moins heureuse quelquefois, mais qui n’en favorise pas moins le débat, la réflexion. Que vaut une écriture qui ne serait que repli sur soi et ne concevrait pas la communication, l’altérité, le don vers l’autre ? L’entreprise manquerait singulièrement de générosité, non ?

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Trois blogueuses ont effectué une chronique pour la sortie de ton nouveau livre. Il me semble que c'est la première fois qu'elles interviennent avant la publication d'un de tes livres. Comment as-tu vécu cette expérience ?

Sincèrement ? J’ai été très agréablement surpris. Jusque-là, je l’ai dit, je ne m’intéressais pas beaucoup à la postérité de mes livres. Je ne dis pas que je m’en foutais, mais je pensais réellement que cela n’était plus entre mes mains et n’avais pas réfléchi au fait que le monde avait changé, que l’internet, les réseaux sociaux, les blogs modifiaient désormais la donne. Peut-être un peu par fainéantise aussi, je n’ai jamais cherché le contact avec les chroniqueuses ou chroniqueurs littéraires. Ce sont elles ou eux qui ont pris la peine de me chercher.

La première à être intervenue, et je lui en rends grâce, c’est La Page de Rita. La deuxième, c’est toi, Christine. Il n’était pas question des « Cendres du Père » encore : je n’en avais montré le manuscrit à personne et n’étais même pas sûr de vouloir lui chercher un éditeur. Puis, vous êtes toutes deux allé déterrer « Sur les Épaules du Fleuves », un livre que j’avais écrit il y a trentaine d’années et que je ne m’étais résolu à publier qu’en 2006.

2006 ! À l’époque où le Web nous impose sa temporalité et ses dates de péremption, c’est quasi le Pléistocène. J’avais bien eu quelques papiers élogieux dans la presse officielle au moment de la parution, mais – franchement ! – qui s’en souvenait ?

Bref ! Il était question des « Cendres du Père » dans ta question. Celui-ci, en prévente chez l’éditeur, ne paraîtra officiellement que ce mois de septembre et c’est vrai que je suis heureux que trois chroniqueuses s’y soient déjà intéressées. Ceci posé, ce qui m’a réellement scié c’est la résurrection de « Sur les Épaules du Fleuve ». Parce que mon nouveau manuscrit renouait avec les lieux, les situations et même certains personnages de cet ancêtre et qu’il développait une thématique similaire : le maquis toscan, la quête d’authenticité, l’isolement dans la mémoire et la sorte de rédemption psychologique que procure cet isolement. Dès ce moment-là, et grâce à vous, j’ai su que « Les Cendres du Père » possédaient une cohérence et peut-être quelque pertinence. Et je lui ai trouvé une maison d’édition.

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Dans ta biographie, il est indiqué que tu as été « critique littéraire ». Penses-tu qu'il existe une différence entre « blogueurs/ses littéraires » et un «  critique littéraire ». Si oui, explique-moi comment tu différencies l'un et l'autre. 

Question délicate et qui mérite sans doute un long développement. D’emblée, je te dirai que ce qui fait pour moi une différence, ce n’est pas le titre, le support médiatique ou la reconnaissance sociale et salariale, mais la motivation et le talent. Toute personne qui aligne de la cohérence, de l’engagement et du plaisir dans son travail mérite une reconnaissance. Alors « critique », « chroniqueur », « blogueur » ? Le philologue et linguiste de formation que je suis aura tendance à te dire que ce n’est déjà plus que du lexique.

Bon. Tu évoquais par ailleurs ma « carrière » de critique littéraire : celle-ci n’a pas duré bien longtemps et remonte à pas mal d’années, en vérité, même s’il m’arrive encore à l’occasion de chroniquer l’un ou l’autre ouvrage. Une opportunité s’est présentée alors que j’achevais mes études. Je l’ai saisie.

À l’époque, je lorgnais avidement un gros volume de la Correspondance d’Hemingway que les Éditions Gallimard publiaient pour la première fois. Mon budget d’étudiant ne me permettait en aucun cas de l’acquérir.  Je ne sais plus qui m’a soufflé l’idée de l’obtenir en service de presse et d’en faire la chronique. Dans le cadre de mes études, je remuais surtout de la sémantique ou de la morphologie historique et travaillais à une thèse sur Restif de la Bretonne et les utopistes de la fin du XVIIIème siècle. Mais, en parallèle, je ne songeais qu’à me mettre sérieusement à mon premier roman. J’avais dès lors aussi des choses à dire sur l’édition contemporaine. Écrire de courtes chroniques me donnait la possibilité de le faire.

J’ai donc publié une série de papiers. Tous ou presque étaient dédiés à la littérature américaine, au « style court », à une écriture de type « behavioriste » qui m’attirait beaucoup, en ces temps-là. Quand j’ai eu fini de démontrer ce que je m’étais candidement mis en tête de démontrer, je suis passé à autre chose : la chronique littéraire m’avait désormais ouvert la porte du journalisme où j’ai continué de sévir longtemps, comme pigiste d’abord, puis chroniqueur politique, éditorialiste et enfin secrétaire de rédaction. Ensuite, fatigué d’agiter des poncifs, j’ai largué les amarres et j’ai résolu de ne plus me consacrer qu’à la fiction littéraire.

Mais ta question portait davantage sur la différence que je pourrais éventuellement établir entre « critique » et « blogueur » que sur ma bio. Pour revenir à cette différence, j’aimerais mentionner une autre de mes activités : la photographie. Celle-ci a donné lieu à un débat passionné et déplorablement futile sur les réseaux sociaux. Avec l’arrivée du numérique, tout le monde avait soudain les moyens de se mettre à la photographie et Facebook ou Twitter permettait de diffuser immédiatement et largement son travail. On a vu fleurir les profils intitulés « Untel ou Une Telle, photographe », ce qui n’a pas manqué de faire réagir le milieu professionnel.

Il y avait désormais deux camps : celui des amateurs et celui des professionnels. Pour ma part, je ne me considérais en aucun cas comme un professionnel, mais je pratiquais depuis des décennies déjà et avais publié pas mal d’images dans la presse, notamment pour illustrer mes propres articles. J’avoue que j’ai pesté un temps contre le fouillis de clichés dénués de toute compétence technique ou sémiologique qui s’affichait tous les matins sur les réseaux. Mais j’ai réalisé rapidement que ce n’est pas le statut qui faisait la différence. Il y avait, dans cette débauche d’images, autant de talents ou de fulgurances parmi les amateurs que parmi les pros. Et, dans une mesure identique, il y avait également autant d’arrogance ou d’imposture.

Aujourd’hui donc, tout le monde peut se proclamer photographe, critique ou écrivain. Pour ma part, j’ai supprimé la mention « écrivain » dans ma bio sur Twitter et je n’ai jamais revendiqué celui de « photographe ». Pourquoi voudrais-je spécialement m’attribuer ce que tout le monde peut obtenir désormais ? Mais cela ne signifie pas que je suis hostile à l’idée d’une démocratisation des compétences. Et si je demeure méfiant à l’égard de la pseudo-démocratie que nous vendent les réseaux sociaux, je ne suis décidément pas allergique à l’idée que ceux-ci bousculent un peu les normes et les castes établies.

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Penses-tu que les blogueurs/ses littéraires  deviendront essentiels dans le monde littéraire ?

Utiles ? Assurément. Essentiels ? Je commence à le penser en effet. J’ai mentionné déjà que ce qui comptait, selon moi, c’était la motivation et l’investissement personnels. Dans ce monde-là – où la mystification et la posture l’emportent déjà sur les compétences –  il ne sera bientôt plus question de ne négliger aucune vraie velléité de s’investir dans le champ de la création, du volontaire ou du vivant.

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Conseillerais-tu à un auteur de demander une chronique littéraire à une blogueuse ou un blogueur et pourquoi ?

Honnêtement, c’est une question difficile pour moi. Non parce qu’il s’agit de s’adresser à une blogueuse ou un blogueur, mais parce que j’estime qu’il y a pas mal d’arrogance à quémander explicitement une chronique de son propre livre. C’est sans doute une pudeur personnelle. Mais je sais des auteurs qui n’hésitent pas à bombarder les blogs littéraires de leurs requêtes, voire de leurs exigences. Qu’est-ce que cela signifie en somme ? Qu’ils ont décrété que les blogs devaient être l’instrument de leur promotion exclusive ? Si j’étais blogueur pour ma part, je n’accepterais de travailler qu’au coup de cœur... ou au coup de gueule. Parce que, si je suis convaincu d’une chose, c’est qu’on ne fournit un travail convenable que si l’on prend du plaisir à le faire.

Cela dit, je conseillerais aux auteurs de faire confiance à tout partenariat qui se présenterait avec une blogueuse ou un blogueur et de ne jamais oublier que toute lecture doit demeurer le fruit d’une subjectivité librement choisie et assumée.

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Lors d'une prochaine sortie d'un nouveau roman, feras-tu appel aux blogueurs/ses littéraires ?

Appel, sans doute pas : je m’en justifie à la question précédente. J’estime qu’un auteur doit conserver une certaine modestie, ne serait-ce que par respect des classiques qui ont alimenté son imaginaire. Peut-être lui sera-t-il intimement utile de se prétendre le nouvel Hemingway ou le nouveau Tolstoï au moment de monopoliser toute son énergie sur sa table de travail. Mais les auteurs qui continuent de se la raconter en public m’horripilent. Et ce, quel que soit leur statut dans le microcosme littéraire.

En revanche, je serai enchanté de tout partenariat qui se présentera éventuellement avec une blogueuse ou un blogueur. Je répète à dessein ce terme de « partenariat ». Si, plus haut, j’ai paru prêcher l’isolement, le stakhanovisme et le travail solitaire de l’écrivain, je crois tout de même que rien de valable ne se fera plus à l’avenir sans une solide collaboration entre tous les acteurs du champ littéraire. Et, de toute évidence, il n’y a de profit ni pour l’auteur ni pour le chroniqueur ni même pour l’éditeur de travailler ensemble sans estime mutuelle.

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As-tu un dernier mot ?

Il sera pour ce « Journal des blogs littéraires » dont je suis l’activité depuis son lancement. Pour saluer l’initiative et encourager son développement. La littérature se porte mal, paraît-il. Parce qu’il n’y aurait plus de lecteurs ? Allons donc ! Demandons plutôt à Euripide, Chrétien de Troyes ou Diderot si le public susceptible de lire et diffuser des idées était tellement plus foisonnant, de leur temps. Si la littérature se porte mal, à mon sens, c’est qu’elle a intégré la culture d’entreprise, l’injonction de rentabilité, le bluff permanent. C’est que chacun travaille dans son coin et en fonction de ses intérêts propres.

Il est grand temps au contraire de fédérer les énergies. De renouer des liens, comme tu tentes de le faire, Christine,  avec ce journal : en confrontant auteurs, éditeurs, chroniqueurs et lecteurs et en les mettant chacun devant leurs responsabilités. Peu importe qu’il s’agisse de professionnels ou d’amateurs, du moment qu’il y ait la volonté de créer, de s’émerveiller un peu et surtout de transmettre.

Je ne sais ce que la postérité retiendra de ce XXIème siècle. Je ne suis peut-être pas grand-chose pour le deviner ou tenter d’y participer. Mais je suis absolument convaincu que si nous voulons léguer autre chose que les éternels 280 caractères hédonistes et compulsifs de Donald Trump aux siècles futurs, il est urgent de se poser collectivement la question.

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Merci à Marco Carbocci d'avoir pris le temps de répondre à mes questions .

Christine (Aupaysdesbooks)

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Le lien vers le site consacré à la sortie de "Les Cendres du Père .​c'est   ici 

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