top of page

   Coup de projecteur sur 

          Carlos Moreno

photo-Carlos-Moreno.jpg
EeCXvumXsAIH3jL.jpg

Carlos Moreno : Professeur des Universités, expert international de la Smart City humaine, expert villes, territoires de demain, et Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur. 

Carlos Moreno a tracé son chemin à la croisée de nombreux univers : enseignement, recherche, entreprise, industrie – explorant des disciplines et des domaines variés, convaincu que l’innovation naît de leur interaction. 

​

Il a publié “Vie urbaine et proximité à l’heure du COVID-19” aux Editions de l’Observatoire.

"La ville du ¼ d’heure" :  la ville des proximités, un vaste réseau de lieux pour que le temps utile soit un temps de vie. C’est une autre manière de vivre, de consommer, de travailler, d’être en ville. C’est repenser la manière de se déplacer, de parcourir la ville, de l’explorer, de la découvrir.

Ayant fait le tour du monde, la ville du ¼ d’heure se trouve au cœur des débats et réflexions sur l’urbanisme d’aujourd’hui et de demain.

​

​

                Interview « La ville de demain »

​

Bonjour, il est juste de dire que le confinement et la crise du coronavirus n’ont pas vraiment retransmis l’idée qu’une pandémie s’associait à la fin du monde. Une épidémie de l’ampleur du covid19 aurait pu laisser penser que la vie s’arrêtait, la ville n’existait plus. Pourtant, il semble qu’elle se soit adaptée mais autrement que par la désertion ou l’inactivité. Les habitants de la ville ont changé de regard par rapport à l’endroit où ils habitent, où ils travaillent. Ce confinement presque mondial a libéré un nouvel intérêt pour son quartier, ses voisins, sa ville. Cette pandémie a-t-elle permise à votre vision de la ville de demain une expertise inédite et inopinée ?

 

Oui, la pandémie apporte un nouveau contexte de vie dans un premier temps car elle touche plus de la moitié de la planète, de manière  simultanée. La pandémie met en tension et planétairement la vie des hommes et des femmes. La réponse qui a été le confinement oblige de mettre en sourdine, sous cloche, la vie notamment urbaine puisque les principales villes du monde sont touchées et elle crée un contexte pour réfléchir sur ce qui nous arrive, nous permettre entre-autres d'imaginer d'autres manières de vivre.

On a beaucoup parlé de la pandémie par rapport au monde d'après mais je pense qu'avant de parler du monde d'après, il faut que l'on se dise -ici et maintenant-  : Quelles sont les voies possibles devant nous pour renfermer un mode de vie qui est arrivé à bout de course ? 

Souvent on dit le "monde d'après", même si nous sommes encore en plein Covid19, que le temps du Covid19 et l'incertitude d'un vaccin nous révèlent qu'il y a encore énormément d'inconnue. En même temps, c'est ce qui est passionnant : cette excitation. Car notre mode de vie est à bout de course et la pandémie est en fait un zoom planétaire. On est à bout de course : Cela fait des décennies que les scientifiques alertent l'humanité sur les changements climatiques : Montée des eaux par rapport au niveau de la mer, changement de température extrême...Mais ce n'est que lorsque cela nous touche "nous", en Europe, comme par exemple avec les canicules, qu'on lui prête attention mais lorsque cela nous touche, ça nous oblige à réagir. Le changement climatique reste tout de même déterminant sur le futur de l'humanité. Par-dessus, on a le Covid19 qui lui, nous oblige à rester confiné, à prendre la distance sanitaire, à être masqué, à faire du télétravail, à ne plus se rendre dans des concentrations de masses. Et donc c'est ce qui nous interroge finalement : la pertinence de notre manière de vivre, ça nous oblige à déterminer : qu'est-ce que c'est vivre ? Produire, consommer, se déplacer. Après quelques mois, il y a quelque chose qui nous fait signe. Un signal qui s'agite :  Le temps. 

​

Le temps est devenu quelque chose de nouveau pour beaucoup de monde sur la planète. Le fait qu'il y a eu le confinement, le temps se déroule différemment parce que nous étions habitués dans notre société urbanisée moderne à une inexistence du temps. Le rythme de la vie  était quelque part : produire, consommer, produire, consommer... Lorsque le Covid19 débarque, ce rythme est cassé. Les usines s'arrêtent, la vie au travail s'arrête, il faut réfléchir à comment on fait alors que le pays s'écroule. La crise économique est profonde ainsi que la crise sociale. Les gens découvrent du temps qu'ils n'avaient pas avant, ils découvrent leur quartier. On découvre la vie au balcon par des applaudissements, on découvre les boutiques du coin. On prend conscience que le temps existe et on doit lui donner une incarnation. On retrouve sa famille, on retrouve des choses que l'on ne faisait plus du tout sans avoir l'impression de perdre son temps.

La vraie question n'est pas le monde d'après mais : Quelle est la part de cette nouvelle construction, de ce mode de vie qui va rester ? Et comment faire pour qu'elle reste ? 

J'en parle dans ma dernière publication et dans la prochaine qui sortira en novembre prochain : comment est-on arrivé à bout de course, comment le Covid19 nous a démontré que nous ne pouvions plus vivre comme avant et comment malgré nous avons découvert une autre facette du temps. Non celle du temps horaire, du calendrier. Ce qui est important c'est de savoir qu'elle est la part d'humanité que nous avons perdue. A cause de la course à la production et à la consommation, nous avons en effet perdu une part de notre humanité. Le changement climatique nous a réveillé au niveau mondial, le Covid19 nous a révélé le rapport avec une  nature dont on abuse, avec notre manière de produire, de polluer, de nous déplacer, mais aussi avec la biodiversité : le saccage de nos forêts, le saccage de nos terres, la construction artificielle.

Le changement climatique nous a montré d'autres rapports avec la nature, mais la pandémie nous mène un cran au-dessus, puisqu'elle nous interroge sur la part du monde que nous sommes. Elle nous a mis sur une voie où l'écologie est avant tout un humanisme. Si nous voulons découvrir cette  part humaine que nous avons perdue, retrouver cet humanisme, cela se traduit par la solidarité, la proximité et aussi l'altérité, prendre soin de nos personnes âgées. Tout ceci nous met en alerte sur cette part d'humanité que nous avons perdue mais que nous sommes heureux de retrouver.

Dans mon livre, j'exprime ce chemin qui va nous mener d'une ville angoissée, où l'on a perdu notre humanité où l'on doit se lever tôt pour aller travailler, déposer ses enfants, où l'on rentre tard toujours sous pression parce que l'on privilégiait l'achat d'une nouvelle voiture, une maison de campagne et tout ça a été mis en pause puisque nous ne pouvions plus nous servir de la voiture, voyager loin. Puis on découvre que l'on n'est pas obligé d'aller au travail tous les jours, que les trains existent pour traverser la ville, le travail existe par internet, que l'on peut être productif par internet. 

J'explique donc dans mon livre qu'en continuant le chemin, nous retrouverons cette part d'humanité perdue. 

 

 

 

Depuis plusieurs années, vous plaidez que la ville de demain est celle de la proximité. Sa ville, son quartier, sa rue. Durant quelques semaines, les habitants de nombreuses villes mondiales ont vécu ainsi. Trouvant certainement, une nouvelle vie, un nouveau rythme, beaucoup ont réalisé qu’ils s’y trouvaient énormément de possibilités, de personnes dont ils n’avaient pas connaissance. Le déconfinement et l’envie de liberté, de voyager, de parcourir sont-ils une chance ou un potentiel danger pour réaliser et libérer la ville de demain ?

 

Oui, bien sûr. Le déconfinement ramène chacun de nous à se demander comment sortir d'une vie sous cloche mais avec une vie sociale. Mais comme le déconfinement n'est pas une guérison, puisque nous sommes très handicapés, je dirais que ça a créé un sentiment que l'on ne connaissait pas avant. C'est le sentiment de la fragilité, une vulnérabilité. Cela veut dire que notre part d'humanité, dont je parlais précédemment, comporte toujours une part de fragilité. Le déconfinement donne l'espoir de retrouver de nouveau une vie sociale économique dans un contexte écologique. Grâce au confinement nous avons été plus en mode de vie frugale, nous avons gagné un mois de dépassement en économisant nos ressources et c'est très intéressant.

Lorsque nous aurons retrouvé cette énergie pour vivre, aurons-nous encore l'élan pour continuer à grignoter les ressources des années à venir  ou au contraire  comprendrons-nous que sans la nature nous ne sommes rien,  qu'elle était là avant nous et qu'elle nous survivra.

C'est ça aujourd'hui le chemin le croisement, qui se présente à nous. Cette jeunesse par exemple qui sort du confinement : elle veut faire la fête, voyager mais c'est la même génération qui alerte sur le climat et comprend que tout est fragile. Je pense que cette part d'humanité qui se réveille accompagne cette jeunesse. Il y a une lueur d'espoir pour que le déconfinement ne soit pas de nouveau synonyme de désintérêt pour  l'environnement et de l'exploitation de nos ressources. Je garde l'espoir là-dessus. 

​

 

Internet a joué un rôle majeur durant le confinement, il a permis les échanges entre personnes, le télétravail et la continuité de la pédagogie scolaire. Communiquer et travailler par réseau étaient une évidence durant plusieurs semaines. Auparavant, internet  semblait être un possible danger pour les enfants ou les personnes sensibles à cause de la violence qui pouvait s’y trouver. Pendant le confinement, la journée, la semaine avaient une tout autre temporalité. Les heures passées au travail, à l’éducation  ou le divertissement ont permis de s’organiser, de s’occuper de l’autre ou de soi tout en partageant en famille. Pensez-vous que les personnes aient pris en compte le fait qu’internet était un outil pour s’informer, travailler et se distraire mais que communiquer était plus agréable avec le voisin, la boulangère ou même en famille, ensemble ? La ville de demain est-elle une organisation de son temps ?

​

​

Oui, effectivement cette question est alignée avec ma pensée. Bernard Stiegler, qui est malheureusement décédé, disait par rapport à la Pharmacologie que c'était un Pharmakon.  Il disait que tout ce qui était poison pouvait aussi devenir remède et un remède risque à tout instant de devenir un poison. On n'a jamais vu d'aussi près cette phénoménologie que proposait Bernard, auquel nous pouvons rendre hommage post mortem. La technologie peut être un poison. C'est-à-dire qu'elle peut être génératrice de beaucoup de déconnexions sociales, alors même que nous sommes hyperconnectés, mais également de fake news, tous ces côtés malsains, ces côtés zombies. J'appelle ces usagers les "Zombigeeks" parce qu'ils sont tout le temps connectés et parce qu'ils sont isolés les uns des autres.

La technologie s'est montrée à nous avec une dimension tout à fait intéressante grâce au télétravail,  aux activités culturelles, aux évènements par les réseaux. Je pense que l'on n'a jamais été aussi loin de revenir du chemin de Crête du Pharmakon. Après? il vaut mieux que des personnes puissent aller faire leurs courses à pied pas loin de chez elles au lieu de commander sur Amazon, épicentre des achats, qui a multiplié son chiffre d'affaires parce qu'il représentait la facilité. Nous devons maintenir un effort  important pour qu'aujourd'hui cette technologie nous serve au travers de la téléprésence : cours à distance et communications en vidéo pour les personnes âgées qui bénéficient ainsi de relations avec la famille. Il faut faire tout de même attention à ce que nous préservions l'incarnation de la ville pour que l'on puisse garder des contacts humains. C'est le moment ou jamais où c'est  la proximité qui peut  être le nouveau levier pour créer cette esprit, puisque dans cette proximité on aura la capacité de créer de nouveaux contacts même s'il faut garder la distance sanitaire. Il faut créer de l'intensité sociale. Se retrouver pour manger ensemble même à distance est beaucoup plus agréable que de se parler par vidéo. Il faut garder le contact. La proximité est essentielle. Il faut manger ensemble, partager le pain.

L'intensité sociale est indispensable et nous devons la créer par le biais de la culture, de l'art et de la musique ou encore de rues piétonnes pour que les enfants puissent jouer ensemble. Il faut garder cet élan sinon on va désincarner nos vies et on n'arrivera pas à prendre le dessus.

​

 

​

Dans votre livre, vous écrivez que nous sommes face au combat urbain essentiel pour les années à venir. Que voulez-vous dire ? 

 

Le combat essentiel est à venir .Nous sommes à la croisée des chemins. Soit on bascule de nouveau dans la dystopie, cela veut dire : pour ne pas attraper le Covid je pars en voiture, je suis de nouveau dans la pollution et les bouchons. Soit on se dit que le climat veut que nous changions notre mode de vie. Privilégions les transports contre la voiture individuelle. L'espace public a besoin d'être rafraîchi avec des fontaines, de l'eau potable. Ces rues doivent nous donner la possibilité de nous rafraîchir. Le combat essentiel est une nouvelle organisation du travail pour faire moins de kilomètres. Le combat pour l'altérité  est aussi essentiel. On ne peut pas continuer à vivre dans une société où la couleur de peau, la religion ou la manière de parler posent question. Le combat essentiel est aussi d'être solidaire pour sortir les gens de l'angoisse et de l'anonymat. Aujourd'hui des personnes meurent dans l'indifférence totale dans un immeuble. 

La question que nous devons nous poser est : Dans quelle ville voulons-nous vivre ? 

Nous devons vivre dans une ville vivante, incarnée et humaine. Nous devons retrouver notre part d'humanité afin de vivre ensemble dans les meilleures conditions. C'est tout ça le combat essentiel. 

C'est un humanisme qui intègre la notion écologique, la notion sociale, la notion économique avec en toile de fond le respect des autres, l'altérité et la démocratie. 

 

​

 

​

 

​

 

Pour vous, il est temps d'aller non plus vers l'aménagement de la ville mais vers l'aménagement de la vie urbaine : En cela, vous proposez la "ville du quart d'heure" ou le "territoire de la demi-heure" tout en tenant compte de l'écologie, du social et de l'économie. Vous suggérez qu'un monde durable est à l'intersection d'un monde vivable, viable et équitable. Le monde de demain est-il un défi ? 

 

​

Oui, absolument. On a beaucoup considéré que le défi était l'écologie dans sa dimension de combat pour la nature, pour la biodiversité, pour l'eau. On a beaucoup considéré ce combat écologique par  rapport aux quatre éléments : L'eau, l'air, la terre et le feu. Le feu, c'est l'énergie. La terre, le lieu où nous habitons, l'air pour sa qualité et l'eau parce que nous en manquons. Le défi de demain, c'est effectivement l'écologie pour un monde viable mais pour avoir un monde vivable, nous devons avoir un monde viable. Dans ce monde viable,  la production des richesses aujourd'hui et parce qu'elle est produite en ville, doit être effectivement en intégration avec la pauvreté et doit s'équilibrer. Cela demeure un défi. Jamais l'humanisme ne s'est retrouvé à la croisée des chemins avec un monde équitable, sociale et écologique. Dans mon livre, je fais référence à  Muhammad Yunus qui a reçu le prix Nobel de l'économie lorsqu'il a écrit son livre le triple Zéro "Vers une économie à trois zéros" . Triple zéro, c'était Zéro carbone, Zéro exclusion et Zéro pauvreté, c'est pour cela que je dis aujourd'hui qu'il faut créer une valeur croisée écologique, économique et sociale : "chaque euro investi doit avoir un retour d'investissement écologique, économique et social". 

 

​

 

​

 

Si aujourd'hui, nous tournions la ville vers la densité organique, le chrono-urbanisme, repenser le numérique, explorer la ville polycentrisme : aurions-nous un monde meilleur  ? Mais surtout ce désir de changer le monde est-il possible par les habitants ou est-ce du domaine politique ? 

 

​

Ah ! Ah ! Très bonne question. Je rappelle que politique vient du grec "polis" qui signifie "cité". La politique représente une interactivité qui permet l'amélioration de la vie de chacun, notamment par rapport à la chose publique et aux communs, c'est-à-dire ce que nous partageons tous, ce qui est bénéfique aux autres. J'ai parlé de l'eau, de l'air et on peut rajouter le temps, le silence et le partage d'une autre manière de vivre. Oui, il faut que nous ayons des gouvernances tant au niveau de l'état qu'à l'échelon des villes qui soient portés par le bien commun. L'impulsion politique pourtant ne suffit pas : l'habitant doit s'en emparer, il doit être parti prenante. Par ex : Les voies sur berges à Paris, c'est une question de droit commun car on va protéger l'eau (la Seine) et aussi l'air en réduisant la pollution. Alors, soit on est dans l'intérêt commun en protégeant l'habitant, soit on est dans l'intérêt personnel en voulant conduire sa voiture. C'est là que la vision politique du maire doit être claire, qu'elle donne cette impulsion et que d'autre part le citoyen s'investisse également. Cela doit être une démocratie d'action. C'est pour cela que je soutiens le budget participatif où le maire demande aux habitants un projet et où ceux-ci montent le projet. Là, nous sommes dans une démocratie d'action. Il y a une convergence de volonté pour transformer le commun urbain et, pour moi, c'est très important que le commun urbain soit mis en valeur. 

 

​

Selon vous, sommes-nous sur la bonne voie afin de réaliser enfin la ville de demain ? 

​

 

Question très difficile. Je pense qu'Edgar Morin, grand penseur universel qui illumine mon chemin intellectuellement depuis de longues dates, nous apprend qu'il n'y a pas de réponse définitive à une telle question : Sommes-nous sur le bon chemin ? Edgard Morin a écrit un livre, "La voie". La voie c'est effectivement un ou plusieurs schémas qui font que l'on explore des connecteurs, des pistes. Est-ce qu'elles sont bonnes ou mauvaises ? Edgar Morin nous apprend la difficulté de trancher et nous enseigne que l'incertitude est une des rares certitudes que l'on doit avoir. Il nous dit également que nous vivons dans une société imparfaite qui sera toujours incomplète et fragile. Donc, sommes-nous sur le bon chemin ? Je pense qu'il faut prendre compte l'étendue de la tache et motiver par ailleurs le maximum de gens pour se dire que l'on peut y arriver.

Je finirais en disant qu'Edgar  Morin a également écrit : "Le plus probable, c'est la désintégration mais  la métamorphose est encore possible". 

 

​

Merci à Carlos Moreno pour cet entretien téléphonique. 

 

Vous pouvez retrouver son livre : ici  

​

Le site de Carlos Moreno c'est ici 

​

    

bottom of page